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Alors qu’avec Jean Dumas, disparaît une éclectique figure de la culture et des arts, notre ville célèbre un poète qui tenait le haut du rayonnage dans sa librairie Racine. Paul Valéry, né voici cent cinquante ans sur son île singulière, emboîte le pas d’un non moins glorieux barde sétois, Georges Brassens, dont nous clôturons le centenaire à tombeau ouvert.

Outre une accointance avec la muse de la poésie et une perpétuelle moustache, les deux rimeurs avaient une mère d’origine italienne, filiation routinière à Sète. Aristocrate génoise et fille de consul pour l’académicien, matrone bigote du fond de la botte ritale pour le poète-interprète. Cette distinction géographique fut certainement à l’origine de deux parcours diamétralement opposés. L’un grandira parmi les protocoles et les grands auteurs, l’autre sera abreuvé de ritournelles et de chansonniers.

La vie de l’auteur du Cimetière marin aurait pu être écourtée. Alors que sa nourrice se laissait conter fleurette sur un banc dans le jardin public du château vert, le chérubin âgé de 3 ans faillit se noyer dans le bassin de Neptune. Il sut par la suite canaliser sa « folie de l’eau » par des dessins et aquarelles du port en rêvant d’une carrière maritime. Paul Valéry commença ses études chez les dominicains, puis au collège de Sète et au lycée de Montpellier. Ses premiers vers furent naturellement publiés par la Revue maritime de Marseille alors qu’il venait de s’inscrire en 1889 à la faculté de Droit de Montpellier après avoir renoncé à préparer l’École navale.

C’est dans son autre port d’attache, à Gêne, que Paul Valéry fut victime, dans la nuit du 4 au 5 octobre 1892, d’une épiphanie intellectuelle. Une crise existentielle et sentimentale à l’origine de ses cahiers de l’esprit, dans lesquels il jeta prosaïquement les jalons d’un semblant d’œuvre, sobrement consacrée à la réflexion et aux idées. Il indiquait souvent qu'il considérait cette nuit passée à Gênes comme sa véritable naissance.

Ses génoiseries inaugurent une vie de penseur invétéré et feront taire sa voix poétique pendant près de vingt ans. Il plonge ses réflexions, écrites aux premières heures du jour, dans pas moins de 258 cahiers qui ne seront publiés qu’après sa mort. L’évolution de sa conscience et de ses rapports au temps, au rêve et au langage, y sera quotidiennement consignée et illustrée de dessins et aquarelles. Il avouera que « les mêmes questions depuis 43 ans broutent le pré de [son] cerveau ».

Un coup de dés jamais n’abolissant le hasard, c’est à la faveur d'un banquet à Palavas en 1890 que Valéry noue ses premières relations d’écrivain. Il y fait la connaissance de Pierre Louÿs, poète symboliste, qui le met en relation avec André Gide, que Valéry rencontrera la même année. Une accointance épistolaire s’établira avec Stéphane Mallarmé, à qui il demande conseil. « Seule en donne la solitude », lui répond le maître de l’avant-garde poétique. 

Requinqué par cet exaltant précepte, Paul Valéry épouse en 1900 Jeannie Gobillard, dont il aura trois enfants. « Toute la famille peignait. Peignait dedans, peignait dehors, peignait partout et à toute heure. C’était effrayant ! », racontait Agathe, la fille du poète. Cette famille était celle fondée par le couple Valéry, la sœur de Jeannie, Paule Gobillard, et leur cousine Julie Manet. Toute une tribu artistique vivant dans un immeuble aux murs tapissés de tableaux et construit par les parents de Julie, Berthe Morisot et Eugène Manet, frère d’Édouard Manet.

Ce n’est qu’en 1917 que Valéry, sous l’influence de Gide notamment, s’entiche à nouveau de la muse poétique. Avec la publication de La Jeune Parque, dont le succès immédiat annonçait celui des autres grands poèmes : Le Cimetière marin en 1920, et les recueils poétiques, réunis dans Charmes, en 1922, influencés par Mallarmé. Sur le Cimetière marin, il disait : « c’est à peu près le seul poème où j’ai mis quelque chose de ma vie ». L’auteur privilégiait toujours dans sa poésie la maîtrise formelle sur le sens et l'inspiration. « Mes vers ont le sens qu'on leur prête », un choix qui s’exprime en particulier dans ce tercet :
Cette main, sur mes traits qu'elle rêve effleurer

Distraitement docile à quelque fin profonde,

Attend de ma faiblesse une larme qui fonde.

Dans le troisième vers, le dernier verbe suscita une fiévreuse controverse sur sa nature : fonder ou fondre. Deux confréries dès lors s’affrontèrent : les fondards et les fondusards. Cent ans plus tard, le gouffre demeure. Au même instant, deux autres communautés s’opposèrent, les dreyfusards et les anti-dreyfusards. Une enfance nationaliste lui avait fait choisir le camp des seconds. Fort heureusement, refusant de collaborer avec l’occupant, il rallia plus tard celui des premiers. Le point d’orgue restera un éloge funèbre de Henri Bergson, discours qui fut salué comme un acte de courage et de résistance. Ironie du sort, alors que s’ouvrait, dans la France libérée, le procès Pétain, le barde passait la lyre à gauche.

Son doigt sur la couture de l’habit d’académicien lui fera écrire, dubitatif devant un tableau de Picasso : « il y a dans cet art quelque chose de certainement neuf. Mais quoi ? » Il fut tout autant indifférent à Bonnard et Matisse. Mais il abhorrait également chez ses contemporains le philosophe et le politique, considérant le premier « plus un habile sophiste, manieur de concepts, qu'un artisan au service du Savoir comme l'est le scientifique ». Quant au second, il proposa cette intuition fulgurante sur la politique : « l’art d'empêcher les gens de se mêler de ce qui les regarde ». Une prémonition qui confère à ce classique une saisissante modernité, ayant pressenti les défaillances et les dérives de notre époque.

Paul Valéry aura droit à des funérailles nationales, les premières pour un écrivain depuis Victor Hugo. La cérémonie se déroule au palais de Chaillot dont le théâtre sera dirigé quelques années plus tard par Jean Vilar. Le fronton du palais du Trocadéro arborait quatre inscriptions en lettres dorées d’un auteur devenu incontournable après son discours de 1919 sur l’avenir de la civilisation européenne. Ces citations lui avaient été commandées pour l’Exposition universelle de 1937 et réalisées dans une police de caractère, le Peignot, créée conjointement par l’affichiste et créateur typographique Cassandre. Elles ont la particularité d’être parsemées de points suspendus entre chaque mot, un caprice issu de la gravure lapidaire romaine. Quelles mouches ont donc piqué le commissaire de l’exposition, au point de le voir poinçonner les lignes avec une régularité que l’on ne retrouvait alors qu’aux entrées du métro parisien ?

Aile Paris, Cité de l'architecture et du patrimoine, vers la tour Eiffel :

TOUT • HOMME • CRÉE • SANS • LE • SAVOIR

COMME • IL • RESPIRE

MAIS • L’ARTISTE • SE • SENT • CRÉER

SON • ACTE • ENGAGE • TOUT • SON • ÊTRE

SA • PEINE • BIEN-AIMÉE • LE • FORTIFIE


Vers la place du Trocadéro :

DANS • CES • MURS • VOUÉS • AUX • MERVEILLES


J’ACCUEILLE • ET • GARDE • LES • OUVRAGES


DE • LA • MAIN • PRODIGIEUSE • DE • L’ARTISTE


ÉGALE • ET • RIVALE • DE • SA • PENSÉE


L’UNE • N’EST • RIEN • SANS • L’AUTRE


Aile Passy, musée de l'Homme, vers la tour Eiffel :

IL • DÉPEND • DE • CELUI • QUI • PASSE


QUE • JE • SOIS • TOMBE • OU • TRÉSOR


QUE • JE • PARLE • OU • ME • TAISE


CECI • NE • TIENT • QU’À • TOI


AMI • N’ENTRE • PAS • SANS • DÉSIR


Vers la place du Trocadéro :

CHOSES • RARES • OU • CHOSES • BELLES


ICI • SAVAMMENT • ASSEMBLÉES


INSTRUISENT • L’ŒIL • À • REGARDER


COMME • JAMAIS • ENCORE • VUES


TOUTES • CHOSES • QUI • SONT • AU • MONDE


Ce soir de juillet 1945, deux projecteurs au pied de la tour Eiffel déployèrent par leurs faisceaux un immense et majestueux V dans le ciel. L’initiale de Valéry mêlée au V de la victoire offrait au lendemain de la libération un lumineux symbole national de la résistance des armes et des lettres au nazisme. Commandeur de la Légion d'honneur, Valéry reçut les honneurs militaires. Une foule recueillie défila devant le cercueil placé sur un catafalque tricolore et veillé par des étudiants. La cérémonie s'acheva à Sète, trois jours plus tard, avec l'inhumation du poète dans le caveau familial du cimetière Saint-Charles, qui prendra peu après le nom de cimetière marin. L’épitaphe sera pêchée dans le poème qui rendit célèbre la nécropole face à la mer :

O Récompense après une pensée

Qu'un long regard sur le calme des dieux.


Impatiente de rappeler à notre bon souvenir son cher académicien, notre cité, la cuistre, se retroussa les manches. Sa maison natale ayant été réduite, comme un pied de nez à la mémoire, à l’état de gravats, elle s’empressa de rebaptiser une rue montant vers le collège où il étudia et devenu lycée Paul Valéry. Son cimetière surplombant la Grande bleue fut renommé en grande pompe à peine le caveau refermé. Enfin, chapeautant celui-ci, on inaugura un musée éponyme à l’occasion de son centenaire pour y accueillir un fonds issu d’une veuve reconnaissante. À ce jour, le mont Saint-Clair devrait conserver son patronyme, à la fureur des promoteurs d'un mont Valéryen méridional. Le bon maître dépasse ainsi d’une courte tête l’auteur de la Supplique pour être enterré à la plage de Sète qui ne compte qu’une rue, une digue, un espace-musée et une salle nomade…


Une  inscription lapidaire résume, à elle seule et sur quatre lignes, la vénérable existence de l’homme de lettres. Si son auteur demeure à ce jour anonyme, elle n’en domine pas moins, de son insolente limpidité, le quai de la Marine qu’enfant, il croquait d’un coup de crayon. Les passants d’aujourd’hui peuvent y lire, dans une langue épurée et une forme faisant écho au célèbre escalier de la Caravelle de Gêne où, dans ce parc, le jeune poète aimait gamberger plutôt que gambader :

ICI 

EST NÉ 

PAUL VALÉRY 

LE 30 OCTOBRE 1871

par Jean-Renaud Cuaz 26 novembre 2024
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS MÉRIDIONAUX Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 24 novembre 2024
SOUVENIRS DE LA PLAGE DU KURSAAL… Où de radieux bains de mer font place, le soir venu, à de sombres règlements de comptes… Avant son compte rendu et sa propagation, le fait divers concerne d’abord des individus réels confrontés à un drame réel. Qu’il soit relaté dans les journaux d’époque ou consigné à la plume par de méticuleux appariteurs, il devient, dans cet âge d’or du port de Cette (fin XIXe siècle - début XXe), un fait de société quand les ingrédients sont réunis : une activité portuaire dans une période coloniale, de grandes vagues d’immigrations et leur cohorte de couche-vétus, des rues coupe-gorges où l’on réglait les différents plus ou moins identiquement, des bars ornés de filles aux moeurs canailles, une garnison de têtes brûlées armées de baïonnettes et goulûment avinées… Car, dans le cadre de sa politique sur les libertés publiques, la Troisième République triomphante facilita à l’extrême l’ouverture des débits de boissons (loi du 17 juillet 1880 ). Nul doute que toutes ces composantes se soient allègrement coagulées pour alimenter la fertile rubrique des faits divers cettois. Si, de nos jours, il était encore utile de rappeler que la vie ne tient qu’à un fil, Christian Lagarde nous le souligne avec talent dans ses Faits divers à Cette , d’une écriture limpide et fidèle aux codes journalistiques des chroniques d’alors. À la clé, une kyrielle de funestes démêlés mâtinée d’ubuesques accidents domestiques, le tout couronné de procès expédiés en un tournemain. À l’issue desquels une ligne maritime Cette-Cayenne devait fonctionner à plein régime… Ces faits divers sont aussi une mine d’or, tant sociologique qu’historique, qui amena la Sehsser (Société d’études historiques et scientifiques de Sète et sa région) à s’associer, par son fonds de documents historiques, aux recherches de Christian Lagarde. Membre de la Sehsser , l’auteur fait porter au lecteur un regard contemporain sur des sujets de société—avortement, féminicide, infanticide—d’hier… et d’aujourd’hui. Il nous fait saisir, avec justesse, le portrait d’une époque, d’un milieu, de lieux et patronymes familiers, à un jet de pierre de notre temps. Si le sociologue Pierre Bourdieu assimilait les faits divers à des faits qui servent à faire diversion pour raconter un climat politique —il forgea le concept de faits-diversions à la fin des années 1990 —ils sont surtout une source inépuisable pour la littérature et le cinéma. Quant au risque qu’ils portent un grave préjudice au bon renom de notre ville, considérons cette menace comme une affaire classée sans suite. Faits divers à Cette par Christian Lagarde 20€ | 256 pages En librairie, points de presse et sur Landemain.fr
par Jean-Renaud Cuaz 30 octobre 2024
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS MÉRIDIONAUX Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 29 octobre 2024
Alain Rizzolo jette lʼancre à Sète en 1970 . Le Provençal né 32 ans plus tôt nʼaura aucun mal à sʼacclimater sur lʼîle singulière. Les origines italiennes de son père ont certainement participé à en faire un Sétois passionné par la vie culturelle de son port dʼattache. Par la vie politique aussi. Ancien attaché parlementaire de Jean Lacombe et adjoint à la culture avec lʼéquipe municipale de François Liberti, sa vie est faite dʼengagements pour sa cité. Un engagement respectueux du travail de ses prédécesseurs. Cʼest sans doute son attachement aux peintres du dimanche et aux théâtres amateurs qui le rend affable et altruiste. Aux premiers, il fournit une salle rue du 11 novembre, les affiches et lʼapéritif des vernissages. Il sʼétait dit que les sportifs du dimanche avaient bien un stade mis à disposition par la mairie. Certes, voir 350 peintres dominicaux exposer à tour de rôle et entendre leur ange gardien les accueillir régulièrement par un discours—brossé à larges touches dʼempathie—devait faire hérisser quelques poils de pinceaux professionnels. Il sʼen moque comme de sa première piquette. Quant aux seconds, les théâtres amateurs, il met à leur disposition le plus beau des écrins, le théâtre de la mer. En charge du financement des associations, il sʼappuiera sur ce formidable levier pour faire naître quelques festivals—Fiesta Latina, Jazz à Sète...—qui allaient mettre Sète sur orbite parmi les grandes destinations musicales. Et cʼest en toute modestie teintée dʼanxiété quʼil porte à bout de bras un projet de musée du même acabit. Approché par Hervé Di Rosa, il doit se faire expliquer le concept dʼart modeste pour ensuite proposer au conseil municipal un musée international logeant une collection de cadeaux Bonux et autres babioles—plus de 700 000 —accumulées par un fou furieux depuis 50 ans. Le MIAM ouvre ses portes dʼancien chai à un car de vétérans qui fondent en larme à la vue de ces reliques chargées dʼhistoires banales, et fera dire à leurs initiateurs quʼils ont gagné haut la main leur pari. La définition de lʼart de vivre selon Alain Rizzolo se résume à écrire et peindre. Pour moi et pour les gens que j’aime. Ils viennent, ils se servent et ils sʼen vont , disait celui qui ne se considère pas écrivain . Il est quelquʼun à qui il arrive dʼécrire . Ses premiers ouvrages et toiles se vendaient déjà très bien lorsquʼil tenait le cordon de la bourse des associations sétoises. Il pouvait en ce temps-là compter sur dʼinnombrables flatteurs dans une ville qui compte autant dʼassociations que de recettes de la macaronade. En 2021 , avec son roman Lʼhomme-phare , Alain Rizzolo donne corps à une promesse faite à un vieux Valrassien. Quarante ans plus tôt, en 1981 , Valras fêtait officiellement ses 50 ans—le port appartenait à Sérignan jusquʼen 1931 —par un film télévisé, Les Mémoires du Temps , dont Alain Rizzolo écrivit les dialogues. Il rencontra, pour ses recherches historiques, un très vieux résident de la cité portuaire qui lʼinvita chez lui. Sur la cheminée, trônait une aussi vétuste lampe tempête qui intrigua le visiteur. Elle appartenait au grand-père italien du vieil homme qui fut heureux de lui raconter son origine. Venu de Cetara, au sud de lʼItalie, en barque à voile avec femme et enfants, il accosta à lʼembouchure de lʼorb pour sʼy établir. À cet endroit, le courant fait régulièrement mouvoir le fond sableux. Pour éviter lʼensablement des bateaux-bœufs et contre une caisse de poissons, lʼItalien ficelait une lampe tempête sur sa tête et avançait lentement devant la proue, en été comme dans lʼobscurité hivernale, pour jauger la profondeur. Une nuit quʼil guidait les pêcheurs malgré une pneumonie, il disparut sous lʼeau. On retrouva plus tard sa lampe tempête. Alain Rizzolo, à qui il est arrivé cette année dʼécrire un recueil de nouvelles, lʼa intitulé Les terrasses de Sperlonga , titre du dernier des sept récits dédié à sa fille Véronique. Le premier suit le vertigineux voyage dʼun galet couleur jour de neige au fil de lʼeau et du temps. Le dernier évoque un autre voyage sur la grande bleue chère à lʼauteur, celui de Leonardo sur sa barque de pêcheur et son escale à Sperlonga, dʼoù il entend, après avoir remis la voile, une voix lui crier : « Étranger ! je tʼai menti... Le plus court chemin dʼun point à un autre, même sur la mer, cʼest pas la ligne droite, cʼest une journée de bonheur ! » Alain Rizzolo est du même tonneau que nos redoutes, sentinelles plantées sur nos rivages, dont la pierre rongée par le sel reste solidement ancrée dans le sable. Un gardien dépositaire de la mémoire du monde, le regard scrutant lʼhorizon. Il me disait, lors de mes visites chez lui, qu’ on ne renie pas les 30 premières années de sa vie . On évoqua la genèse du Chagrin de Minos et sa vie camarguaise, alors âgé de 20 ans. C'est sans doute vrai aussi pour celle du jeune Gaspard de son dernier ouvrage, Le génocide des hannetons . Une belle histoire de quelqu’un à qui il arrive d’écrire mais qui a découvert très tôt le pouvoir de l’écriture. Comme Gaspard… Nous avions convenu récemment de republier ce Chagrin de Minos en français et en provençal à l’occasion des fêtes des Saintes-Maries-de-la-Mer. Une langue et une culture que le plus provençal des Sétois avait chevillées au cœur. J’attendais de recevoir cette version d’un traducteur pour lui montrer la maquette. Dans l’espoir de le faire lire le plus et le plus loin possible. Ce chagrin viendra un jour, après le nôtre.
par Jean-Renaud Cuaz 28 septembre 2024
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS MÉRIDIONAUX Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 22 septembre 2024
3e FESTIVAL AGNÈS VARDA - Me revoilà La cinéaste Agnès Varda, décédée — mais pas disparue puisque la revoilà — en 2019 à l’âge de 90 ans, était si vénérée de son vivant que sa dernière décennie fut une longue parade d’honneurs (Saint-Louis 2017), de récompenses (Oscar 2017), d’interviews, de rétrospectives… Non ! Non ! Ça suffit ! Je ne suis pas une religion. Je suis encore vivante ! lançait-elle sur scène, à la bienveillante vindicte populaire. Son père avait breveté en Belgique un type de grue industrielle. Devenu riche, tout l’oppose à sa fille Agnès. D’accord sur rien, elle le frustre, il la déçoit. Sa mère, cependant, pressent une graine de créativité. Elle met en gage un bijou, lorsqu’Agnès manifeste son intérêt pour la photo, et lui achète un Rolleiflex, appareil bi-objectif allemand haut de gamme. C’est l’œil de la photographe qui échafaude les plans de La Pointe courte. Emboîtant les portraits statufiés dans des décors purgés de tout artifice théâtral. Sans trop se soucier des dialogues. Ils seront ajoutés au montage avec l’aide d’Alain Resnais qui prête son matériel. Ses films, à peine scénarisés, s’ils le furent vraiment, comptaient plutôt sur des incidents de parcours pour improviser. C’est dans la photographie que son œuvre de cinéaste et d’artiste visuelle puise son énergie. Une œuvre singulière, à la fois personnelle et ouverte aux autres, certains autres aimait-elle dire. 80 BALAIS Pour ses 80 ans, Agnès Varda reçoit de ses amis… 80 balais et balayettes pour autant de printemps déblayeurs. Elle ne résistera pas à la tentation de se retourner pour filmer son autobiographie et passer des coups de balai sur ses jeunes années. LE BONHEUR EST DANS LA POINTE Premier film en couleur d’Agnès Varda, Le Bonheur fit scandale lors de sa sortie en 1965 et fut interdit aux moins de 18 ans. Il remporte le prix Louis Delluc et ramène du Festival de Berlin l’Ours d’argent. Deux œuvres de Mozart accompagne Le Bonheur . Un choix qu’Agnès Varda justifia en déclarant avoir voulu représenter une certaine idée du bonheur, comme la musique séduisante de Mozart qui pourtant pince le cœur . Un jeu de piste ludique et jubilatoire au goût aigre-doux. Au casting, la famille Drouot (Jean-Claude, Claire, Olivier, Sandrine) et l’exquise Marie-France Boyer. LES RACINES D’AGNÈS Avec Les Créatures (1966), Agnès Varda offre un drame fantastique opposant Michel Piccoli, Catherine Deneuve et une multitude de sources d’inspiration qu’elle s’évertue tout de go à combiner avec talent pour filmer son histoire. Quarante ans plus tard, la cinéaste, devenue artiste visuelle (terme qu’elle préférait à plasticienne), présente une installation, la Cabane du cinéma (initialement nommée La cabane de l’échec , en référence à la sortie du film), à partir de pellicules du tournage des Créatures, dans un effort d’épaissir leur présence dans son œuvre cinématographique. L'installation fait une subtile apparition dans le documentaire Les Plages d'Agnès (2008). Si on ouvrait des gens, on trouverait des paysages. Si on m'ouvrait moi, on trouverait des plages , raconte Agnès Varda dans la première partie du film autobiographique, en médecin légiste imaginaire. Le scalpel qu’elle manie avec talent nous fait découvrir ses thèmes de prédilection, la mer, ses rivages et la confrontation de l’image fixe avec l’image mobile. Pour ce long métrage tourné entre août 2006 et juin 2008, Agnès redécouvre sa maison natale d’Ixelles et recrée à Sète la maison flottante familiale. Elle arpente la plage de la Corniche et de Noirmoutier, celles de la Belgique natale, Knokke-le-Zoute et La Panne, jusqu’à Los Angeles. Poussant le bouchon plus loin, elle alla jusqu’à créer chez elle, rue Daguerre, une Daguerre-Plage entre sa maison de production Ciné-Tamaris et la salle de montage, déversant 6 bennes de sable fin sur le bitume. Après le générique de fin, dans l’esprit Attendez, ne partez pas ! Agnès ajouta une scène non prévue : on y voit son équipe lui fêter ses 80 ans. Une séquence montée avec quelques plans volés aux copains et avec leurs photos , confiait l’éternelle glaneuse. FESTIVAL AGNÈS VARDA – 3e ÉDITION DU 19 AU 22 SEPT. 2024 EXPO PHOTOS de 14h à 19h Traverse des Pêcheurs de la Pointe Courte
par Jean-Renaud Cuaz 29 août 2024
LES RENDEZ-VOUS CULTURELS MÉRIDIONAUX Rencontrer, voir, lire, écouter et ne rien rater dans les semaines à venir
par Jean-Renaud Cuaz 27 août 2024
ALAIN ROLLAT, UN TRUBLION DU QUOTIDIEN Le Monde a été autrefois le journal de bord de ce chroniqueur au long cours. Abreuvant les nobles colonnes de brèves ses premières années, le jeune Rollat se fera bientôt un nom de journaliste politique par des billets parfois décalés, toujours bien sentis. Ses origines rurales, recherchées par le quotidien pour trancher avec les salonniers parisiens courant les mondanités, ont sans doute heurté les hordes de hauts fonctionnaires abonnés à ces lectures feutrées, dans d’obscurs bureaux haussmanniens. Que d’autres feuillettent de manière oblique pour connaître leurs ennemis. Il approchera les plus grands de la politique, les plus machiavéliques, les plus controversés. Allant jusqu’à se fendre de quelques biographies sans s’éloigner de son pré carré. Dans les pages du journal de la rue des Italiens , fondé à l’ombre du pouvoir au lendemain de la guerre par un directeur parachuté par l’Élysée, l’élite parisienne trouve rapidement ses repères. Quand Rollat arrive, c’est un quotidien du soir épaissi qui a gagné son indépendance entre deux perfusions pour ne pas couler avec ses rotatives, comme d’autres journaux. Pourquoi chercher outre-Atlantique un modèle jamais démenti de rigueur et de qualité, le New York Times pour ne pas le titrer, quand ici on a sous la main — noircie de proses sirupeuses à vous ouvrir les veines — de quoi refaire le Monde tous les 10 ans. Pour notre petit bonheur, Alain Rollat s’est lâché en anecdotes fumantes, sur l’avant et l’après 1981, la montée du Front National là où la gauche régnait en maîtresse absolue. Car seul le FN faisait rêver , nous dit-il, les dents serrées… Maigre consolation, son village, aux dernières élections a résisté à la vague brune. Sans doute le fief des derniers non-rêveurs… Dommage qu’aucun journaliste de notre PQR ne soit présent ce matin au bar du Plateau. Nos pisse-coquilles auraient eu l’oreille attentive pour un ancien confrère qui, ne sachant quoi relater en plein Mondial 1998, osa interviewer un ballon de football pour un billet à rendre le lendemain matin 7h30. Mémoires du Centre du Monde Alain Rollat Cap Bear Éditions Mars 2024 - 260 pages - 18 €
par Jean-Renaud Cuaz 27 août 2024
LA MÉMOIRE EN CHEMIN Elle forge et grave notre identité collective à coups de désastres humanitaires à n’en plus finir. Des conflits jusqu’aux portes de l’Europe impriment cette mémoire au cas où nous serions en manque de commémoration. Une consolation, jetée en pitance, nous fera dire que si la Belgique n’avait pas été envahie dès les premiers jours, la Wehrmarcht n’aurait pas poussé la famille Varda à quitter son plat pays. Pour venir s’échouer à Sète et nous offrir Agnès, petit bout de femme devenue icône de la Nouvelle vague et de la Pointe Courte. Et si Elvira Brassens n’avait perdu son premier mari fauché dans les tranchées de la Der des Ders, elle n’aurait pas épousé en seconde noce Louis Brassens. Et n’aurait pas enfanté le poète turlupin que nous vénérons. Nous n’allons certes pas crier vive la guerre… Ce serait incongru pour ce chemin de mémoire. Un éphémère témoignage, le temps de supplanter celui créé au fil des ans par des plaques de rue et de quai aux noms de résistants. Jean-Marie Barrat, François Maillol, Maurice Tarbouriech… On aimerait ajouter sous ce mot Résistant, imprimé sous leur nom, quelques images ou quelques mots. Résistant fait un peu court. Pour Louis Roustan, fauché dans sa jeune vie, qui donna son nom à un foyer de cette Pointe courte, non pour avoir jeté à l’eau des jouteurs mais pour avoir refusé qu’on lui impose une mémoire nazie.
par Jean-Renaud Cuaz 26 juillet 2024
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