A comme archaïsme…
ou anachronisme… Georges Brassens savourait « les mot qui veulent dire quelque chose
». Il ajoutait : « aujourd’hui, on est en pleine confusion et enpleine inflation du langage
». Nostalgique d’un art du verbe, les nouvelles terminologies le faisaient s’exclamer : «
j’ai horreur des mots nouveaux !
»
Dans ses textes, le poète puise à de multiples sources du langage : vieux français, langue classique, argot ancien et contemporain. Il les fait cohabiter, télescoper et fusionner dans un jargon imagé, une syntaxe dont il est l’exclusif linguiste.
Les pages qui suivent recensent quelques vocables singuliers en un dictionnaire amoureux : termes représentatifs de sa pensée, locutions improbables, invocations allégoriques et mythologiques, un abécédaire illustré du parler Brassens.
L'auteur du Pornographe (1958) écrit dans cette chanson :
Aujourd’hui que mon gagne-pain
C’est d’parler comme unturlupin,
Je n’pense plus « merde », pardi !
Mais je le dis.
Au Moyen Âge, Turlupin
était le nom donné aux membres d’une communauté qui se répandit en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, autoproclamés frères et sœurs du libre esprit. Leur rébellion contre l'église établie et leurs façons de vivre (nudité, amour libre, opposition aux pouvoirs ecclésiastiques en place) prônait un idéal de pauvreté. Selon cette doctrine du Libre-Esprit, c'est en se libérant de toute entrave et du superflu que l'on pourrait connaître la béatitude dès la vie terrestre. Un libertinage spirituel où la charité se confond avec l'amour charnel, et qui se consommait sans restriction au sein de la confrérie.
Quelques siècles plus tard, le mot turlupin
a évolué et ne concerne plus qu’un quidam dont les écrits ou les paroles sont d’un goût douteux, grotesque. Mais chez notre poète sétois, on retrouve cette ancienne forme de libre esprit portée en bandoulière. Et son gagne-pain, qu’il nous offre en héritage, nous éclaire à la manière d’un bateau-phare.
Les turlupinades, qu’il décoche en rafales, méritaient bien un glossaire, un arsenal de gloses bienveillantes. Et pour éclaircir une tournure ou une image obscure, quelques commentaires mis en exergue, en miroir des extraits de chansons d’où elles sont issues, plutôt qu’exilées, refoulées en fin d’ouvrage.
La chanson a été la toute première forme de poésie et de littérature. L’Iliade
et l’Odyssée, chères au polisson de la chanson, sont d’ailleurs divisées en chants et non pas en chapitres. Ainsi, la poésie naît de l’oralité. Comme l’écrit Paul Valéry, l’autre grand poète sétois, « longtemps, longtemps, la voix humaine fut base et condition de la littérature
».
L’écriture script utilisée dans ce recueil est issue de la propre écriture manuelle de Brassens. Dessinée à partir des manuscrits de ses poèmes, cette typographie souhaite faire revivre cette voix dont son ami René Fallet a écrit qu’« elle perce les coassements de toutes ces grenouilles du disque et d’ailleurs. Une voix en forme de drapeau noir, de robe qui sèche au soleil, de coup de poing sur le képi, une voix qui va aux fraises, à la bagarre et… à la chasse aux papillons…
»
Jean-Renaud Cuaz
Diverses flatteries de nos lecteurs
Un excellent livre qui sort des sentiers battus, des poncifs et des images toutes faites. Une analyse amusante du vocabulaire, du génie et de la poésie de Brassens par un amoureux du verbe et des sons.
Il fallait y penser et il fallait oser décrypter tous les textes pour y trouver les références les plus secrètes de l'auteur. Jean-Renaud Cuaz s'y emploie de façon ludique, comme s'il faisait une simple promenade à travers les mots, les moins usités et les plus imagés de la langue française, ceux qui déclenchaient, en les employant, sous sa moustache en broussaille, le fameux sourire complice et coquin de celui qui vient de faire un bon tour...
YVES MARCHAND, ancien Député-Maire de Sète
Compagnons de la réjouissance,
Frappez-vous d’allégresse la panse,
De cajoler un ouvrage bien tanné,
Qui revigore le langage suranné.
Gagnez sans plus tarder l’habitacle,
Chaussez, ajustez vos bésicles,
Foulez aux pieds les pâles écrans,
Nourrissez-vous de ce jargon d’antan
Par la confrérie des gueux regroupé
Et gardez-vous bien des cachots épais.
FRANÇOIS VILLON (1431 – 1463 ?)
Amis lecteurs, qui ce livre lisez,
Dépouillez-vous de toute affection ;
Et le lisant ne vous scandalisez.
Il ne contient mal ni infection.
Vrai est qu’ici peu de perfection
Vous apprendrez, si non en cas de rire :
Autre argument ne peut mon coeur élire.
Voyant le deuil qui vous mine et consomme,
Mieux est de ris que de larmes écrire :
Pour ce que rire est le propre de l’homme.
FRANÇOIS RABELAIS (1483 ou 1494 – 1553)