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Un bateau-phare (ou bateau-feu) est un bateau de construction spéciale ou parfois un bateau simplement modifié et aménagé, doté d'un mât tubulaire portant un phare, parfois deux à l'image de certains lightships américains ou canadiens, comme le White Island. 

Ces bateaux, la plupart dépourvus de moteur, étaient mouillés en mer, au moyen d'une ancre spéciale, à proximité des hauts-fonds dangereux dont ils signalaient la présence. Ils se trouvaient également aux embouchures des fleuves et dans les passes navigables où il était difficile d'aménager un phare pour délimiter un chenal par manque de fond rocheux. Certains étaient maintenus et manœuvrés par un équipage, d'autres, à fonctionnement automatique, étaient mouillés comme des bouées.

Le premier bateau-feu, le Nore, est mouillé à l'entrée de la Tamise en 1732. On commencera réellement à construire des bateaux-feux en série en Angleterre à partir de 1823. En France, le Service des phares et balises conçut ce genre de navire pour trois ports qui avaient besoin de bateaux-feux pour éclairer leurs approches : Dunkerque, Boulogne et Le Havre. À la fin de la Seconde Guerre Mondiale, la flotte française est réduite à trois bâtiments, dont le Dyck construit en 1935 et le Sandettié construit en 1912. Deux nouveaux bâtiments seront mis en chantier : le BF6 (futur Sandettié) et le BF7 (futur Bassurelle). En 126 ans, pas moins de 16 bâtiments se succédèrent ainsi dans le pas de Calais jusqu'en 1989.

Avec la généralisation des balises automatiques et l'avènement des techniques de navigation modernes, leur usage a disparu sur le territoire national. Fin 2018, il n'en subsiste que cinq dont deux seulement sont originaires de France. Ils sont tous en bon état.

Trois bateaux-phares sont conservés dans des musées maritimes :
• LE HAVRE III (ex-Dyck) construit en 1935, il est affecté au banc du Dyck, dans le pas de Calais, et éclaire les approches du Havre à partir de 1948. Une bouée-phare l’a remplacé en 1981. Il est amarré dans le bassin Vauban, devant le centre commercial des Docks Vauban, au Havre (ancien musée maritime et portuaire) et se visite depuis sa restauration.

• Le SCARWEATHER a été construit en 1947 par le chantier Philip and sons à Dartmouth (Grande Bretagne) pour le compte de la Trinity Corporation (équivalent de notre Service des phares et balises). Long de 42,50 m, il fait partie de la dernière série des bateaux-feux de l’après-guerre. En 1947, il est positionné sur le banc Smith Knoll, un des bancs de sable qui longent le Norfolk. Il est ensuite positionné sur les bancs Scarwearther au large de Bristol, en baie de Swansea (pays de Galles). Il prend ainsi son nom actuel. Le bateau-phare est désarmé en 1989. Il est vendu au musée de Douarnenez où il est remorqué en 1992. En 2008, la coque est repeinte et de petites réparations sont effectuées. Il est visible, mais pour des raisons de sécurité, le Scarweather n’est pas visitable.

• LE SANDETTIÉ, ou BF6 (bateau-feu no 6), est le dernier bateau-feu français à avoir été en service. Construit en 1947 et long de 47,50 m, il a d'abord été affecté au banc du Dyck en 1949. En 1978, ce banc de sable n’étant plus balisé, le BF6 est alors affecté au poste du banc du Sandettié jusqu’en 1989 et son désarmement définitif. Il est ensuite reconverti en bateau musée, classé monument historique. Il fait partie depuis 1997 de la collection à flot du Musée portuaire de Dunkerque ; ce dernier disposait également du Dyck (BF2, ex-Havre II) qui a finalement été mis en démolition en juin 2008. Classé également monument historique, il a été décommissionné en 2004.

Les seuls bateaux-phares ayant une activité sont :

• LE BATEAU PHARE

Baptisé Osprey à l'origine, il fut construit à Dartmouth (Royaume-Uni) par le Chantier Philips & Son et lancé le 24 mai 1955. Il fut un des derniers light ships (bateaux-feux) irlandais mis en service pour le compte des Commissioners of Irish Lights. Il était stationné le long des cotes irlandaises de 1955 à 1975, date de sa désaffectation. Il fut alors vendu au port de New Ross (Irlande) où, après une première transformation, il devint un dépôt de fuel à flot, puis servit de logement pour les pilotes jusqu'en 1997.

Remorqué cette année-là au Havre, le bateau arrive à Paris à la fin de l’année suivante. Il est progressivement réhabilité en équipement culturel par une association qui le baptisa Batofar en 1999. À Paris, la transformation technique est réalisée par Herskovits, Thômé & Tobie, architecte naval. Après son rachat en 2018, la structure éclairante du navire est démontée marquant le signal de son prochain transfert au Havre pour rénovation. En 2019, la nouvelle direction a ouvert une terrasse saisonnière à quai, en prélude à une réouverture du bateau, finalement dénommé Bateau Phare.

• L’IBOAT 

Souvent comparé au Batofar, l’IBoat en est même le petit frère. Il été transformé en ferry pour relier l’île d’Yeu sous le nom de La Vendée, avant d’être reconverti à bordeaux en lieu culturel flottant en 2011, dans le quartier en plein renouveau du Bassin à Flot n°1. Après un mois de cale sèche pour réparations en 2019, il est revenu s’amarrer quai Armand-Lalande.

• LE ROQUEROLS

1939 Londres : le Lightship no. 94 (LV 94) construit à l’origine pour la Trinity House Lighthouse Service en 1939 fut affecté à Londres pendant la Seconde Guerre Mondiale. Il a écumé les ports anglais pour remplir sa mission jusqu’en 1990, année de sa décommission.


1998 Amsterdam : le LS 94 sert un temps de musée après des travaux de réaménagement, puis de lieu d’événements privés avec salle de conférence sous le nom de Zeeburg.

2013 Lyon : racheté par un investisseur français pour être reconverti en salle de spectacle et amarré sur le Rhône. Dans cette perspective il est renommé Razzle mais le bateau est refusé par la ville de Lyon.


2017 Marseille : il est remorqué vers le chantier naval de Marseille. Après plusieurs mois de travaux, le Razzle est amarré au port de l’Estaque. Quatre ans de réhabilitation de fond en comble auront été nécessaires pour remettre en l’état le navire qui accueille une salle de concert, un club, un restaurant et un bar terrasse installé sur le pont.


2021 Sète : le 19 février 2021, le Razzle est remorqué jusqu’à Sète où il deviendra le vaisseau amiral des célébrations du centenaire de la naissance de Georges Brassens. À cette occasion, il est renommé Roquerols en hommage au phare du rocher de Roquerols entre Sète et Balaruc-les-Bains, sur l'Étang de Thau où Georges Brassens aimait se rendre.

Long de 56 mètres, il restera amarré au quai d'Alger le temps de réaliser quelques travaux d'aménagements intérieurs et extérieurs avant de trouver son point d’attache permanent, quai du Maroc.

par Jean-Renaud Cuaz 29 août, 2024
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par Jean-Renaud Cuaz 27 août, 2024
ALAIN ROLLAT, UN TRUBLION DU QUOTIDIEN Le Monde a été autrefois le journal de bord de ce chroniqueur au long cours. Abreuvant les nobles colonnes de brèves ses premières années, le jeune Rollat se fera bientôt un nom de journaliste politique par des billets parfois décalés, toujours bien sentis. Ses origines rurales, recherchées par le quotidien pour trancher avec les salonniers parisiens courant les mondanités, ont sans doute heurté les hordes de hauts fonctionnaires abonnés à ces lectures feutrées, dans d’obscurs bureaux haussmanniens. Que d’autres feuillettent de manière oblique pour connaître leurs ennemis. Il approchera les plus grands de la politique, les plus machiavéliques, les plus controversés. Allant jusqu’à se fendre de quelques biographies sans s’éloigner de son pré carré. Dans les pages du journal de la rue des Italiens , fondé à l’ombre du pouvoir au lendemain de la guerre par un directeur parachuté par l’Élysée, l’élite parisienne trouve rapidement ses repères. Quand Rollat arrive, c’est un quotidien du soir épaissi qui a gagné son indépendance entre deux perfusions pour ne pas couler avec ses rotatives, comme d’autres journaux. Pourquoi chercher outre-Atlantique un modèle jamais démenti de rigueur et de qualité, le New York Times pour ne pas le titrer, quand ici on a sous la main — noircie de proses sirupeuses à vous ouvrir les veines — de quoi refaire le Monde tous les 10 ans. Pour notre petit bonheur, Alain Rollat s’est lâché en anecdotes fumantes, sur l’avant et l’après 1981, la montée du Front National là où la gauche régnait en maîtresse absolue. Car seul le FN faisait rêver , nous dit-il, les dents serrées… Maigre consolation, son village, aux dernières élections a résisté à la vague brune. Sans doute le fief des derniers non-rêveurs… Dommage qu’aucun journaliste de notre PQR ne soit présent ce matin au bar du Plateau. Nos pisse-coquilles auraient eu l’oreille attentive pour un ancien confrère qui, ne sachant quoi relater en plein Mondial 1998, osa interviewer un ballon de football pour un billet à rendre le lendemain matin 7h30. Mémoires du Centre du Monde Alain Rollat Cap Bear Éditions Mars 2024 - 260 pages - 18 €
par Jean-Renaud Cuaz 27 août, 2024
LA MÉMOIRE EN CHEMIN Elle forge et grave notre identité collective à coups de désastres humanitaires à n’en plus finir. Des conflits jusqu’aux portes de l’Europe impriment cette mémoire au cas où nous serions en manque de commémoration. Une consolation, jetée en pitance, nous fera dire que si la Belgique n’avait pas été envahie dès les premiers jours, la Wehrmarcht n’aurait pas poussé la famille Varda à quitter son plat pays. Pour venir s’échouer à Sète et nous offrir Agnès, petit bout de femme devenue icône de la Nouvelle vague et de la Pointe Courte. Et si Elvira Brassens n’avait perdu son premier mari fauché dans les tranchées de la Der des Ders, elle n’aurait pas épousé en seconde noce Louis Brassens. Et n’aurait pas enfanté le poète turlupin que nous vénérons. Nous n’allons certes pas crier vive la guerre… Ce serait incongru pour ce chemin de mémoire. Un éphémère témoignage, le temps de supplanter celui créé au fil des ans par des plaques de rue et de quai aux noms de résistants. Jean-Marie Barrat, François Maillol, Maurice Tarbouriech… On aimerait ajouter sous ce mot Résistant, imprimé sous leur nom, quelques images ou quelques mots. Résistant fait un peu court. Pour Louis Roustan, fauché dans sa jeune vie, qui donna son nom à un foyer de cette Pointe courte, non pour avoir jeté à l’eau des jouteurs mais pour avoir refusé qu’on lui impose une mémoire nazie.
par Jean-Renaud Cuaz 26 juil., 2024
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par Laurent Cachard 29 juin, 2024
André Cervera 62 ans, toujours partant pour voir là-bas s’il y est. Heureusement que cet amateur de Tintin a échappé à un Didi frappé du Rajaijah Juice dans une échoppe de Shanghai, sinon il aurait trouvé et Lao-Tseu et sa vérité, mais perdu la tête, et nous n’aurions pas profité de l’œuvre atypique et évolutive d’un homme plus que quiconque déterminé par les phénomènes qu’une vie réserve, quand on y prend garde. Ainsi suffit-il, parfois, quand on naît à Sète, d’être du quartier des 4 ponts, au plus près des navigateurs — Quai de la République — pour plonger dans le bain tout de suite, et sans jeu de mots. Gamins, dit-il, ils entraient dans le Port , se baignaient dans le Canal, sur la plage du Kursaal — il ne découvrira qu’à 13 ans la plage à la Corniche — regardaient avec envie les destinations de ces navires, Dakar, Valparaiso ( Pom pom pom pom pom, Pom pom pom pom pom ! ), les grues, les troncs énormes à la circonférence trois fois plus grande qu’eux . Eux, ils, c’est, dans le désordre, Éric Delort, Théo Villegas, Mustapha Cheik, Mohammed Saïd, Gilles Bresson, les frères Deltour, les Ferrera… Il en oublie forcément mais se souvient de cette identité de quartier, des familles, d’une maman qui emmenait tous les minots pour la journée. Des fêtes de ces mêmes quartiers, les bagarres qui allaient avec. D’une identité multiple, entre Espagnols, Catalans, Italiens, Marocains, Portugais… qui lui donnèrent très vite le goût de l’autre et de l’ailleurs, à ce fils de Républicain espagnol arrivé en 1939. Invalide, mais donnant toujours le coup de main, ici et là, et dans l’épicerie que tenait sa Maman, rue Fondère. Il est le dernier de sept enfants, aura connu quatre déménagements dans la même zone, dans ce qu’on appelait alors le Petit Chicago voire, pour la rue de Tunis elle-même, la rue de l’égorgeoir . Une zone aux 25 bars —  du genre assommoir ou à hôtesses  —  l’Escale, le Crabe, l’Eldorado … Il était petit mais s’en souvient parfaitement, comme il se souvient de ses écoles — Lakanal et Victor Hugo, de son lycée Joliot-Curie — de son Bac en sciences économiques, d’une année aux Beaux-Arts de Sète, deux à Marseille d’où ils — avec Aldo Biascamano —  ils sont remerciés pour avoir fait les cons, vraisemblablement. C’est le plus beau cadeau qu’ils aient pu leur faire , selon lui. Il en aura gardé l’enseignement de Max Charvolen, oscille entre Paris et Sète, où une histoire d’amour le ramène, tâtonne et voit une première galerie parisienne s’intéresser à lui. On est au tout début des 90’s et s’il en garde un souvenir mitigé, il sait que ce début de reconnaissance lui ouvre les portes de l’ailleurs. Fuir. Là-bas, fuir : un peu de Mallarmé, ça colle bien au personnage, sans excès de métaphysique : au Sénégal, où il se prend son premier vrai choc culturel, ça ne pardonnerait pas. La réalité des destinations qu’il voyait enfant l’attrape au cœur, les récits des aînés, les films de Jean Rouch — de Au Pays des mages noirs jusqu’à Cocorico, Monsieur Poulet  — prennent corps. L'animisme, le chamanisme — la médiation entre êtres humains et forces spirituelles (esprits de la nature, âmes des animaux sauvages, ancêtres…), psychopompes auprès des divinités — l’interpellent et ne le quitteront plus. À peine rentré, Hervé Di Rosa, un de ses grands-frères , qui a déjà exposé à Sarajevo, le parraine — avec l’association Équilibres — pour aller en résidence à Pakracs, sur le lieu originel du conflit serbo-croate, là où cohabitaient, encore, juste avant, des Serbes, des Croates et des Monténégrins. Il arrive dans des villes décharnées —  aucun son, aucun oiseau, une lourdeur permanente  — offre un triptyque à la ville ( Hier / Aujourd’hui / Demain ). On est en 1994, en février, un obus de mortier sur un marché de Sarajevo a fait 68 morts, on massacrera bientôt du Tutsi à la machette, ailleurs, mais lui, André, célèbre la paix avec des artistes (français et croates), sait qu’il lui faudra parcourir le monde pour savoir qui il est. Depuis 30 ans, l’adage ne s’est pas démenti : les voyages forment la jeunesse , et ça n’est pas un sexagénaire qui vous reçoit dans son bel atelier — l’ancienne demeure d’un vigneron, avec chais, tonneaux et pressoir d’époque — de Poussan, mais un encore jeune homme filiforme, au débit saccadé, qui énumère les destinations qu’il a connues : l’Afrique sub-saharienne, l’Inde à plusieurs occasions, la Chine, entre Pékin, Shanghai — dans le hutong , où il voit les petits métiers (barbiers, cireurs…) disparaître et l’État faire illusion  — mais surtout dans les campagnes où, entre les Dong et les Miao, après 40 h de train, 10 h de taxi-brousse et 4 h de marche, il assiste à des cérémonies animistes, s’initie à la culture des masques qu’on retrouve partout dans ses œuvres. En tout, il aura passé 5 ans au Pays du Soleil levant, sans doute y retournera-il. Avec Léo, son fils de 30 ans, qu’il a emmené avec lui à Pondicherry vivre pendant six mois quand il n’en avait que 12, avec qui ils se sont retrouvés à Kolkata — vieille promesse paternelle — quand il en a eu 25 et qui vit maintenant, lui aussi, une existence de voyageur. Un vrai, toujours sur la base de projets , d’intégration d’artistes locaux : pour ça, il faut des moyens, taper aux portes, se démener . Accepter de partir séance tenante, parfois, avec Crystel, sa femme et leur fils. Sa chance, il l’a provoquée , et son œuvre, c’est une combinaison des influences qu’il a rencontrées. Entre toiles, performances ou usage du papier —  le vrai, de là où on l’a inventé  — il dessine, assimile les références et les restitue dans un imaginaire structuré dans sa construction, libre dans l’interprétation. Des tissus de différentes époques et civilisations se croiseront sans qu’on se demande si ça a du sens, puisque ça en a un, universel : les vêtements brochés, les paternes, les motifs mythologiques qu’il recycle n’ont qu’une fonction, dire l’état du monde, soi face son état , plus exactement, mettre du Beau là où il en manque. Sa cuisine personnelle de peintre-voyageur va vers ça, la métaphore d’un monde qui se transforme , la catharsis nécessaire pour se dépasser et, volontairement, être dépassé par ce qu’on crée. Faire le pas de côté nécessaire à la spontanéité face au protocole. En 2003, il a réinventé le voyage immobile  — plus Neruda que Giono, pour le coup — en générant un Mexique imaginaire, inspiré par la fête des Morts et les films qui l’ont marqué, ¡ Que viva México ! long-métrage inachevé de Sergueï Eisenstein, Los olvidados , de Luis Buñuel, dont Octavio Paz écrivit que le poids de la réalité qu'il nous montre est si atroce qu'il finit par paraître impossible, insupportable. Et c'est ainsi : la réalité est insupportable ; et pour cette raison, parce qu'il ne le supporte pas, l'homme tue et meurt, aime et crée . Il s’est créé son Mexique, André Cervera, est prêt à y aller, maintenant, quand il sera temps, si la folie des hommes le permet et si Claudia Sheinbaum reste en vie suffisamment longtemps… Sinon, il enterre des toiles — montées sur châssis, disposées horizontalement — soumises aux éléments de la nature, à la merci du vent et du vivant . Sa façon d’envisager, quand il les déterre ( archéologue de lui-même , écrit joliment Pierre Tilman, à ce propos) quelle marque la nature aura laissée sur l’art(ifice). Histoire d’enterrer avec toute marque de prétention, puisque rien ne résiste à rien si l’on considère la cicatrice du temps . Comment représenter le temps, l’arrêter un instant (perdu ou retrouvé), c’est ce qui meut n’importe quel artiste. On n’en avait encore jamais vu un confronter son œuvre à sa propre destruction, puis la retravailler à partir des outrages subis. On ne s’étonne pas de son succès, on s’en réjouit même, parce qu’il n’a pas présidé à son travail. Quand il revient à Sète, AC, il trouve la ville transformée mais ne peut que se réjouir des nouvelles arrivées, des nouvelles énergies : c’est dans sa continuité , souffle-t-il, un œil sur le gamin qui rêvait dans le port. Il cite Geneviève Breerette, une critique d’art installée récemment dans l’île singulière, son copain Tony Truant, s’amuse des têtes de c… qui veulent Sète mais pas les Sétois comme des Sétois qui veulent Sète pour eux tout seuls. N’a plus trop de lieux cultes mais se réjouit, toujours, de revoir le théâtre de la Mer, le Barbu. Et ne manquerait pour rien au monde, sauf à être à son autre bout, une édition de la St-Louis. Minot, encore, il se levait aux aurores pour être bien placé dans la tribune d’en face. Là, il est à la tribune officielle, en a fait l’affiche il y a quelques années. Il est le premier à sourire d’une telle réussite sociale, mais dans sa ville, ça a du sens, là aussi. Il sait que chez les Sétois plus qu’ailleurs, il y a les casaniers et les globe-trotters, ça dépend de la nature de chacun . Lui est parti si souvent qu’il ne peut que se réjouir de revenir et constater que certaines choses, au moins, n’ont pas bougé d’un iota. C’est la logique de la tintaine : la seule qui soit inexplicable en soi . LC
par Jean-Renaud Cuaz 27 juin, 2024
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par Laurent Cachard 13 mai, 2024
Delphine Le Sausse 49 ans, Übermensch d’une confondante normalité. Elle sera la dernière — avec Simon Caselli — à porter la flamme olympique à son entrée dans la ville de Sète, et Delphine Le Sausse sait à quoi elle doit ce privilège : à son irrépressible désir d’aller plus vite, plus haut, plus fort , la devise — vidée de sa valeur métaphysique — des JO depuis ceux de Paris, en 1924. Cent ans plus tard, sûr qu’elle aura une pensée forte pour son grand-père maternel, Raphaël Scialo, le prof de sport du lycée Paul Valéry qui, le jour de sa retraite, a monté et descendu les marches sur les mains ! Sa fille, Mireille, a suivi son Bernard dans l’arrière-pays niçois, à Lantosque : il suffit de dire qu’il y tenait une pharmacie pour déterminer les deux atavismes de la vie de Delphine, laquelle se montre brillante quand il s’agit de démarrer une scolarité à Sète, puisque le couple y a élu domicile au moment où il a fallu se rapprocher du grandpère, désormais veuf. Elle fait les écoles Langevin puis St-Joseph, met un point d’honneur à ramener à l’aïeul les meilleures notes en sport . Il lui répond, inlassablement, oui, mais tu as eu combien, en maths , et elle jubile, parce qu’elle excelle, aussi. Ses parents refusent le sport-études en 6e — ça n’est pas un métier, sportif — elle obtient un Bac scientifique avec un an d’avance et si Mme Monterro la rêve en Maths Sup / Maths Spé, elle oscille (pas longtemps) entre l’UREPS et pharma’, choisit la seconde option et fait bien : elle sera la plus jeune Thésée de France, sans vaincre de Minotaure mais en oeuvrant sur le Botrops Lanceloatus , ce serpent mortel de la Martinique, où elle a passé six mois. Ça sera un peu tout pour l’insouciance — si on ose dire — parce que l’apothicaire du 1, rue Henri Barbusse est malade et décède brutalement quand elle a 23 ans. Elle se retrouve, quand ses copains de Montpellier font des remplacements dans des officines exotiques à reprendre la boutique , avec des fournisseurs qui ne suivent pas, des clients qui ne veulent pas qu’une jeunette les prenne en charge. Elle aurait préféré ne pas avoir de pharmacie et garder son père , doit gérer le rapport à sa mère qui, bien que sans diplôme, a su gardé des parts dans l’affaire, trouve (encore) à s’échapper en faisant du sport, beaucoup de sport. Avec une prédilection pour le ski. À Font-Romeu, où la famille a un pied-à-terre. Elle se débrouille (euphémisme) — la meilleure de ceux qui n’ont pas fait Sport-Études — veut passer le Brevet d’État de moniteur de ski, comme son compagnon de l’époque. Elle s’en souvient, c’était l’année de l’affaire Cantat (ou Trintignant, c’est selon) et quelque chose aurait dû lui mettre la puce à l’oreille. Cet homme, dont elle est amoureuse, est pervers, narcissique, la pousse à se mettre en danger là où elle, toujours, craint qu’il ne se fasse mal. Des amis l’ont avertie, elle a du mal à cacher les marques qu’il lui laisse lors de ses accès de colère, mais ce jour-là, en hors-piste, elle va prendre une mauvaise décision, pour lui montrer qu’il avait tort . Elle va y aller, tout droit entre les rochers, se faire mal, sans doute , il comprendra. Las, on n’anticipe jamais la phénoménologie et certaines directions prises, en un millième de seconde, déterminent tout ce qui va suivre, une vie entière, parfois. Ses deux skis se sont arrêtés net, elle a une vertèbre éclatée, la moëlle épinière touchée. Les secours sont longs et difficiles, le diagnostic tarde, elle est hélitreuillée à Perpignan, ramenée en rééducation à Montpellier, où elle aperçoit une enseigne : Propara Clinique , spécialisée pour les paraplégiques. Vous ne remarcherez pas , lui diton. Elle se prend une grosse claque , refuse les visites au centre, dans un premier temps, passe un mois sans bouger, voit sa vie se déliter , l’autre venir lui reprocher de ne pas avoir fait attention. C’est vrai, elle a tout, un bon métier, elle est jolie, elle a plein d’amis etc . Dont des pharmaciens qui vont l’aider — aux commandes, à la caisse — le temps de son indisponibilité. Les mots des clients laissés sur un grand cahier l’aident à reprendre confiance — son talon d’Achille, par fait contrepoids de sa réussite — elle se bat, chez le kiné tous les jours, reprend en fauteuil, puis en béquilles, déteste qu’on la voie comme une handicapée. Un dernier accès de lucidité la pousse à se défaire — plainte à l’appui — de son âme damnée. Elle ne peut plus revenir en arrière , à 28 ans, donc va de l’avant : ce pourrait être une devise shadock, mais c’est comme ça qu’elle se reconstruit, Delphine. Redébute , avec l’infantilisation qui va avec, va nager, réapprend à skier en fauteuil jusqu’à l’Équipe de France paralympique, en 2010. C’est le regard de l’autre qui définit le handicap, parce que la logique de l’émulation et de la performance est la même, qu’on soit valide ou pas. Ce qui ne veut rien dire, de surcroît, parce qu’un sportif invalide sera toujours plus résistant et performant qu’un valide qui ne teste pas ses limites. Il y aurait quelque chose à creuser, psychanalytiquement, chez cette jeune femme remarquable qui va chercher des astres noirs pour se mettre en danger : la perte de ses (re)pères, le besoin d’affection . L’idée, saugrenue, que personne ne voudra d’elle , même si elle a tout. Une dépréciation permanente, que n’aide pas l’idée qu’elle ne pourra plus, maintenant, aller courir, ou servir les verres à la Ola, chez son ami Claude Herzog. Mais les épreuves ont ceci de fondateur qu’elles aident à accepter des paliers. Elle aura d’autres histoires compliquées, jusqu’à ce qu’apparaisse David Guérin, dans sa vie. Lui n’est pas d’ici — c'est un Montpelliérain exilé au Puy — ils se complètent parce qu’elle ne s’est jamais vraiment remise du départ de son inséparable copine de classe, Caroline Skalli, avec qui elle partageait tant, au-dessus de la Butte ronde, qu’elle en a laissé passer les autres. C’est difficile de s’intégrer à Sète , lâche-t-elle, elle qui y est arrivée à… deux ans et demi. Mais qui n’a ni jouteur, ni pêcheur, ni mareyeur dans sa famille. Elle aime sa ville — qui s’embellit, mais grossit trop — elle a, comme elle, du caractère, une histoire particulière, de ruptures et de continuité : après tout, même après l’accident — le Συμβεβηκός*, en philosophie ce qui appartient à une substance de façon non nécessaire, qui n’existe pas par soi — elle a la fierté de (quasiment) tout faire comme avant. Le même métier, le même sport. Elle a les mêmes amis, sans doute soulagés de l’avoir vue renaître, même avec des béquilles. C’est Rose, née en 2015, qui l’a aidée à accepter le fauteuil, quand elle en a besoin. Élue municipale — pour un mandat, seulement ! — elle ne se souvient pas avoir brillé au stationnement et à la circulation, mais n’a pas lâché le morceau quant à l’accessibilité. Elle n’était déjà plus au conseil quand François Commeinhes l’a invitée à inaugurer l’ascenseur en lui glissant : c’est grâce à vous . Le comité olympique doit décider de l’ordre de passage des porteurs de la flamme, mais il est quasiment acquis qu’elle sera la dernière à la mener dans l’île singulière. Comme un juste retour des choses. Pas de revanche sur le sort, puisque celuici n’a (jamais) rien volé ; mais sur une sélection qu’elle aurait pu (dû ?) connaître à Vancouver, en 2010, si elle avait été plus avertie des conditions de lobbying entourant les choix des fédérations. 4 ans d’entrainement pour finir à la roulette russe , très peu pour elle, alors elle s’éclate, en ski nautique — 16 fois championne du monde quand même ! — ou sur les pistes, figures libres ou imposées. Va voir Rose s’illustrer dans des compétitions de skate-board : les histoires familiales, même chaotiques, sont faites de redites et de recommencements. Elle évolue sur certaines choses , prend conscience de celles qu’elle ne pourra pas faire. Mais c’est le lot de chacun de renoncer (un peu) au fur et à mesure que l’âge avance. Elle atteindra la cinquantaine l’année prochaine, a passé la moitié de sa vie dans la pharmacie — même si l’époque flaubertienne des notables a disparu — mais ne s’est jamais ennuyée, et pour cause : elle a plus vécu que si elle avait mille ans. Et ne manquera pas de se lancer de nouveaux défis, puisqu’il est acquis, en sport comme dans la vie, que c’est toujours en envisageant le plus loin qu’on arrive à avancer. Elle ne fera pas le Mont-Blanc comme Jean-Yves le Meur, dont Faux-Pas (Glénat, 2007) raconte comment il a gravi le sommet, béquilles aux poings, appuyé sur une seule prothèse. Mais elle ne le fera pas parce qu’elle ne juge pas nécessaire de le faire ; sinon, elle s’y attèlerait et, au vu du pourcentage de ce qu’elle a réussi dans sa vie — et de ce qu’elle a raté — y parviendrait sans nul doute. Une fois qu’on sait ce que donne de mal appréhender la chute , on fait ce qu’il faut pour l’éviter. Tomber sept fois pour se relever huit, disent les Japonais. Ça tombe bien, elle en est à Sète. Pile. LC *symbebèkos
par Jean-Renaud Cuaz 29 sept., 2023
« Je remonte le long de la chaîne de ma vie, je la trouve attachée par ces anneaux de fer qui sont scellés dans la pierre de nos quais. L’autre bout est dans mon cœur. » Paul Valéry Il est des villes attrayantes que l’on porte à jamais dans son âme dès la première incursion. Un sentiment d’attirance et d’affinité vous gagne, le charme opère à cœur ouvert. Il faut alors avouer que ce trouble instinctif est quelque chose de bien malin et subtil. Ces courtoises citadelles trouvent dès lors le moyen le plus urbain de se rendre maîtresses de leurs assiégeants, assurées de leur victoire. Celui qui leur résiste, celle qui met des obstacles à leurs efforts, sont de ceux d’ordinaire qui ressentent le plus violemment cet élan. Tant et si bien que ces bienveillants bastions s’enivreront de leurs conquêtes, qu’elles soient saisonnières ou sédentaires. Prenez Sète. L’île singulière est de celles-là, jouant de son pourtour maritime et lagunaire, de ses canaux et de son mont clairien comme le ferait une sirène de son galbe et de sa croupe. Son port chaloupé, quant à lui, finira d’affrioler les derniers récalcitrants qui avoueront, vaincus, l’avoir chevillé au corps. Les crève-cœurs pourtant s’accumulent. Des ressacs d’amertume qui font l’écume et le sel de la vie sétoise. Vous y séjournez, radieux ou fâcheux, peu importe. Vous ne la quitterez plus. Le sort en est jeté… Sur un tapis passablement élimé et toujours moins vert, déplore une sourde complainte. Et si vous la quittez, une ferveur indicible vous y fera revenir. La loi irrécusable de la gravitation, d’une attraction par les sens, les sentiments, et le cœur. Par les sens avant tout. Et le toucher d’abord. Arrivés par une mobilité plus ou moins douceâtre, vous posez le pied sur son pavé, un pied distrait voire insolent. Et voilà que votre semelle ne peut plus s’en arracher. Des pavés pourtant scabreux entre lesquels, le long des quais, suintaient avant les huiles solaires le vin et la sueur des portefaix… Souvenirs d’une épopée cettoise. Ici les poignées de main, bien que franches et honnêtes, laissent le plus souvent place aux trois joues, pas une de moins, bécotées à la venvole ou langoureusement, qu’elles soient pomponnées ou mal rasées. Un rituel épidermique qu’une pandémie des plus opiniâtres avait mis un temps sous le coude. Par le regard ensuite. Qu’une lumière unique, limpide et pénétrante éveille puis enflamme. Elle se joue du reflet sur l’onde des barquasses broutant les quais. Des toitures tranquilles et des façades aux mille nuances. Des rues tentaculaires agrippées aux flancs d’une montagnette en sursis. Un chatoiement solaire fusionne toutes ces aspérités en une mosaïque quasi parfaite, une harmonie radieuse. Un soleil perpétuel, célébré par une horde d’artistes et de poètes, sa garde rapprochée, transforme la pierre en jade, l’eau en émeraude, le pont en aventure. Une beauté intrinSète diront les promoteurs en cravate marinière, en mal de raccourcis sur papier glacé. Car, avouons-le, on s’acclimate sans mal à cette ivresse kaléidoscopique, qui devient vitement addiction. Et si l’on s’en échappe, alors on languira bien plus encore que l’on s’était délecté de ses charmes. Mais que seraient les pupilles sans les papilles ? Et donc par le goût et l’odorat. La saveur et l’arôme des fruits de ses deux jardins potagers, maritime et lagunaire. Et de sa pomme de terre argentée , le poisson bleu dans lequel, comme le cochon, tout est bon, de la tête à l’arête, en passant par le foie. Depuis 350 ans, les cordons bleu marine le subliment simplement. Quelques recettes matrimoniales révèlent leur substantifique moelle dès la première bouchée, issues d’un Quartier de moins en moins Haut ou d’une Pointe de plus en plus Courte. Ce patrimoine plus palpable et charnel qu’immatériel, ce sont nos humbles cathédrales que l’on visite religieusement, l’eau à la bouche béante, en évitant soigneusement d’insipides fac-similés. Par l’oreille enfin. Entre deux commérages, où l’art de la harangue le dispute vertement à celui de tailler de fieffées croupières, dans un sabir sétois aux mille facettes et à nul autre dépareillé. L’art d’être gueulard tout en étant taiseux. Entendre parler de caramel , ce n’est que rarement pour célébrer cette confiserie ou cet agent colorant, sans lequel les colas et limonades seraient incolores. C’est, à Sète, une apostrophe aux vertus identiques. Une douce injure qui colore singulièrement la causerie. La plupart des expressions locales ne sont en fait que ponctuations verbales, à peine plus bavardes qu’une onomatopée, que font naître toutes sortes de face-à-faciès. De la plus légère galéjade entre Sétois ou aux dépens d’un villégiateur, jusqu’aux irruptions épidermiques quand ils pleurent leur colline déversant, tel un volcan au-dessus d’eux, un magma de béton, une lave froide comme un arrêté municipal, submergeant la moindre parcelle verte que doivent fuir effarouchés écureuils, palombes et autochtones. Jusque sous nos belles places publiques, provoquant déferlantes d’invectives, de roumégaïres et de rouspétaïres . Couvertes seulement par une pléthore d’intermittentes kermesses balnéaires. Ces discordances pyrophoriques finiront alors d’ensorceler des sens mis à l’épreuve. Sète ne l’ignore pas. Elle tripatouille nos sens en chef saucier, à coup de cuiller dans un sens, puis dans l’autre. Un chichois , cet embrouillamini dont l’unique propos serait d’arrimer et assujettir en un tournemain quiconque l’aidera à atteindre ses ambitions. Pourquoi s’accrocher alors à ce cordon de terre et y prêter allégeance si l’on n’en éprouvait que rancœurs et désillusions ? On l’ignore, mais qu’importe. Ce qu’on sait bien, c’est que Sète a cela de bon, quels que soient ses édiles, qu’on ne lui garde point rancune. Elle restera ce lopin saugrenu auquel il sera beaucoup pardonné, parce qu’il s’est fait beaucoup aimer. Si bien que, comme nous l’a avoué le bon maître académicien, songeant qu’une lourde amarre nous y rive, en dépit des maux soufferts et des espérances déçues, nous cherchons à cette fatalité mystérieuse quelque rude et implacable raison, et nous n’en trouvons qu’une, aimable et douce, et qui explique tout depuis 350 ans : l’attachement.
par Jean-Renaud Cuaz 12 avr., 2023
Dans le giron de la smalah Windsor , il est une coutume millénaire parmi d’autres : orner le nouveau souverain d’une coiffe et d’un sourire éclatants. Une enjolivure seulement autorisée par le droit d’ainesse, qu’il ne faut pas confondre avec le droit d’ânesse qui, lui, autorise baudets et bourricots à procréer à tour de patte, primogéniture ou pas . D’un métal bien plus durable que le règne le plus long, les couronnes en or résistent à la mastication, au grincement des dents lors de lectures de tabloïds et aux fortes morsures que celles-ci génèrent. Elles sont idéales pour les monarques qui subissent des perditions capillaires ou dentaires. Car elles détournent, pour les premières, une attention planétaire, et ajoutent, pour les secondes, une touche ironique quand il s’agit de fustiger les sans-dents . Le couronnement étant une opération festive, il ne peut, pour le patient anglais trépignant dans la salle d’attente, avoir lieu dans une période de deuil, qui s’étend généralement pendant une année, après le trépas du dernier enguirlandé. Camilla , elle, se fera poser une couronne en diamant qu’on imagine du plus bel effet, lorsque les projecteurs et les flashs illumineront un sourire béatifié. Sa prothèse fut sortie de la vitrine de sa prédécesseure, la reine Mary , épouse du roi George v , pour une réinsertion opérée dans un souci de durabilité. Une première pour une reine consort depuis le xviii e siècle, lorsque la légitime du roi George ii , Caroline , porta la couronne—et, selon une rumeur tabloïdeuse, les jarretelles—de Marie de Modène . Un communiqué du palais de Buckingham avait annoncé en février dernier que la couronne de la reine Mary avait quitté la Tour de Londres pour subir quelques modifications par un prothésiste détenteur d’un mandat royal de la Couronne. En rupture avec ses prédécesseurs, Charly de Buckingham souhaitait faire souffler un simoun de modernité, et dépouiller son sacre de «rituels obscurs et chronophages» . La liste civile de l’opération ne fait état que de 2000 témoins, contre quelques 8000 qui auparavant rongeaient leur frein en entendant la fraiseuse percer l’épaisse atmosphère de l’abbaye de Westminster, entre deux cantiques psalmodiés. Le dress-code aussi sera dépouillé de toutes fanfreluches ostentatoires. Resteront bannies fausses perles et perlouses. Un déridage mené rondement s’étendra jusqu’à l’onction, par une huile 100 % végétale, sans ingrédients d'origine vassale ou animale, un quasi casus belli de Charles , passé du British racing green au vert écolo avant même sa naissance. Le Saint Chrême a été fabriqué à partir d’olives récoltées dans deux oliveraies d’un monastère du mont des Oliviers où repose Alice de Grèce , grand-mère de Charles iii . L’extrait issu du pressage des olives fut parfumé, selon une formule ancestrale, d’huiles essentielles—sésame, rose, jasmin, cannelle, néroli, benjoin, ambre et fleur d’oranger—puis béni dans l’église du Saint-Sépulcre, à Jérusalem, au cours d’une demi-douzaine de cérémonies. Une huile donc multiculturelle, séculaire et vegan selon l’étiquette imprimée avec une encre non moins bénie. Le rite le plus sacré de la cérémonie de couronnement verra les mains, la tête et la poitrine du monarque huilées comme un corps de lutteur turc avant l’étreinte. Une séance proche de celles que s’offrit le prince Andrew sur une île sulfureuse. La reine consort recevra l’onction avec ce qu’il restera de l’huile d’olive. Souhaitons que ce soit derrière un paravant. Pour couronner le tout, le culte d’un monarque de droit divin serait-il plus honorable que celui d’un autocrate de droit dictatorial dès lors que le souverain deviendrait aimable à force de renoncements et de dépoussiérages ? Pour finir de battre sa coulpe, le souverain-défenseur de toutes les fois, devra allégeance à Dieu, sous peine de perdre sa légitimité. D’où sa pieuse fidélité au sacro-saint ordre des Grenouilles de bénitier et à celui des Culs-bénits. Honi soit qui mal y pense.
par Jean-Renaud Cuaz 08 mars, 2023
« Quand la science rencontre la cause des femmes, c’est implaquable ». — Dr Étienne-Émile Baulieu , le père de la dragée anti-cloque, la pilule abortive plus connue sous son nom de guerre : ru - 486 . Cet increvable endocrinologue et biochimiste français répondait ainsi, ce 17 janvier 2023 , à une journaliste du New York Times, dans son bureau parisien de la rive gauche, donnant sur une ancienne prison du xviii e siècle où fut détenu le marquis de Sade , qui devait laisser plus d’un moussaillon dans la cale de ses chères victimes. Alors que nous célébrons ce 8 mars les droits, longtemps bafoués, de la gent féminine et que se déversent dans nos villes des régiments de tire-au-fion accrochés à leur régime doctrinaire et à quelques mois supplémentaires de somnolence sur canapé ou de croisière cloisonnée, Étienne-Émile, 96 ans au compteur, fait du rab dans son labo de l’hôpital Bicêtre, à peine ralenti par une canne. Un immuable instinct d’opiniâtre précurseur trouve sans doute son origine dans des gènes parentales. Son père, le Dr Léon Blum —  auquel les diabétiques auront une pensée quand ils liront son homonyme sur une plaque de rue ou de place publique — fut l’un des premiers néphrologues à prescrire l’insuline pour le diabète. Sa réputation franchit rapidement nos frontières : alors qu’il passait sa lune de miel sur le Nil avec la mère d’Étienne-Émile, il traita un roi égyptien devenu diabétique à force de loukoum et autres sucreries, dont l’activité physique devait se résumer à suivre des yeux d’affriolantes danses du ventre. Adolescent, É.-É. transportait des armes pour la Résistance en moins de temps qu’il n’en fallait aux bourgeois alentours pour mettre une brioche dans le four de servantes corvéables à merci. Il prit sa carte au parti communiste pour la déchirer en 1956 , lorsque Moscou s’en prit à la virginité de Budapest. Pour son rôle de premier plan dans le développement de stéroïdes synthétiques à l’origine de sa fameuse pilule, il reçut une invitation de l’université américaine de Columbia pour exercer durant une année auprès d’éminents chercheurs. Il dut attendre que l’administration Eisenhower , allergique à son passé communiste, cède la place en 1961 à un président démocrate, J. F. Kennedy , pour voir sa demande de visa finalement acceptée. Embarqué cette année-là pour New York sur un transatlantique, É.-É. rencontre une éminente historienne de l’art, Barbara Rose , qui lui présentera de prometteurs artistes, dont un qu’elle épousera, Frank Stella . « J’ai réalisé auprès de mes amis artistes la similitude de la création en science et en art » , écrivit celui qui fréquenta Andy Warhol , Jasper Johns, Robert Rauschenberg … Des peintres, sculpteurs, musiciens, acteurs qui inspiraient, dit-il, ses recherches scientifiques. Et entre de nébuleuses parenthèses, une liaison avec Sophia Loren , une autre avec Niki de Saint Phalle , dont les nanas avaient certainement émoustillé ses neurones fureteurs. É.-É. fut à la fois salué comme un visionnaire par les partisans du droit à l’avortement, et vilipendé par les opposants, le présentant comme une réincarnation d’ Hitler . Une accusation qu'il trouva particulièrement ironique, étant lui-même juif. Il soutenait avec force qu’au xxi e siècle, « paradoxalement, la pilule abortive pourrait même aider à éliminer l’avortement en tant que problème » . Jusque dans les années 70 , les progrès de la médecine de la reproduction voisinaient avec des pratiques extrêmes d’interruption de grossesse. Quand on n’avait pas de faiseuses d’ange sous la main — Agnès Varda avoua en être — des femmes s’inséraient des bâtons pour provoquer des fausses couches et se rendaient ensuite à l’hôpital où des chirurgiens exigeaient de ne pas administrer d’anesthésie. « Donnez-lui une leçon dont elle se souviendra » avait-il entendu l’un d’eux admonester. L’idée d’une pilule de grossesse germa, une anti-hormone qui agirait comme un tour de passe-passe biologique. Sur la table de la salle à manger, sont posés depuis peu deux cadeaux de la vice-présidente américaine Kamala Harris , un vase en verre et un de ses livres. Lors d’un voyage officiel en France en 2021 , elle rencontra en privé le Dr Baulieu et son épouse. Sur la page de garde du livre — une traduction en français d’un recueil de nouvelles — elle avait écrit : « Merci pour votre amitié et pour tout ce que vous faites et représentez pour notre famille. Je vous aime, Kamala » . La défunte mère de la vice-présidente, Shyamala Gopalan Harris , chercheuse sur le cancer du sein, avait passé un an avec le Dr Baulieu et son laboratoire, dans les années 80 . Il disait déjà : « Je suis optimiste parce que la science vous aide à être optimiste » .
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