Il y a chez Laurent Cachard à la fois le sang chaud du Canut et froid du caméléon. Un canuléon , mot-baluchon pour un gourmand de l’écrit, qui s’adapte à son environnement, s’y confondant sans pour autant se confondre en excuse pour sa propre singularité. Un caractère en filigrane des portraits qu’il fait de ses rencontres : il n’est pas nécessaire d’écrire sur soi pour parler de soi.
Vingt-cinq portraits — et un supplément — composent cet album de familles singulières et forment une comédie humaine des plus hétérogènes. Laurent Cachard nous peint les relations parfois conflictuelles de ses modèles avec leur ville natale. S’y côtoient les nostalgiques de ce qu’elle fut et n’est plus, et les autres. Les maritimes et les lagunaires, entre Lo Quartier Naut et la Pointe Courte, inclusivement. Il creuse de sa plume acérée les strates d’une cité portuaire qu’on pense dominée par la mer mais qui ne fait, au final, qu’obéir au vent. Et si sa propension à vous tirer le portrait vous ferait redouter de croiser son chemin, ne vous offusquez pas. L’auteur est tout en hospitalité, laissant traîner chez lui d’improbables instruments de musique pour mieux retenir des visiteurs troubadours.
De Saint-Simon, dont les Mémoires regorgent de portraits aussi truculents que perçants à Toussaint Roussy qui, en deux traits trois coups de pinceau, croqua les Types sétois dans leurs improbables dégaines, Laurent Cachard nous démontre, passant sans vergogne du gant de velours au gant de crin, que l’art du portrait n’a pas fini son bonhomme de chemin, misogynie à part.
Jean-Renaud Cuaz